Notes de mise en scène : Delphine Cottu

Delphine Cottu ⓒ Arno Lafontaine.
Delphine Cottu ⓒ Arno Lafontaine.

En janvier 2008, revenant d’une tournée à Taïwan où, avec le Théâtre du Soleil, nous avions joué Les Éphémères, je me suis rendue pour la première fois au Cambodge pour accompagner Ariane Mnouchkine qui dirigeait à Battambang un atelier avec les jeunes élèves majoritairement circassiens de l’École des Arts Phare Ponleu Selpak et les acteurs de la troupe Kok Thlok. Il s’agissait de remonter la pièce d’Hélène Cixous, L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, créée par le Théâtre du Soleil en 1985.
Du Cambodge, à cette époque, je ne savais que peu de choses, si ce n’est bien évidemment son « histoire terrible ». Le projet m’attire car, je le sens, il est travail sur la mémoire, source d’enseignement et promesse de découverte.
Lors de ces deux semaines d’atelier, en présence de cinq autres de mes compagnons du Théâtre du Soleil (dont Maurice Durozier qui avait joué Pen Nouth à l’époque), et sous l’oeil de la caméra de Catherine Vilpoux, une forte émotion s’empare de moi lorsqu’Ariane remet en scène l’entrée de Sihanouk avec les acteurs cambodgiens. En quelques minutes, dans la belle salle de l’École des Arts, se réaniment devant mes yeux les protagonistes devenus légendaires de cette épopée, et j’entrevois, par l’imagination, le visage des acteurs qui les avaient incarnés vingt-trois ans plus tôt sur le plateau du Théâtre du Soleil.
Ma relation avec le Cambodge fut dès lors instinctive, j’avais envie et besoin d’y retourner. Une correspondance secrète s’était établie entre les questions qui m’habitaient dans mon propre travail de comédienne durant Les Éphémères et ce projet qui cherchait, humblement, par la métaphore du théâtre et la force de l’écriture d’Hélène Cixous, à rendre au peuple cambodgien, au moins à une partie représentative, la mémoire de son histoire, de ses richesses, de sa culture, de son identité.
En juin 2009 Ariane me demande de retourner à Battambang pour poursuivre ces ateliers de
recherches avec Georges Bigot. Je découvre alors la générosité, l’exigence et le magnifique engagement de l’acteur qui avait incarné Sihanouk en 1985. Notre rencontre est forte et j’ignore à ce moment-là qu’elle sera le début d’une longue et belle collaboration. En octobre, Ariane décide de nous missionner tous les deux pour mener à bien cette aventure.
Je pars alors sur les traces de cette histoire avec le Cambodge qui avait commencé pour le Théâtre du Soleil il y a 26 ans et qui croisait aujourd’hui mon profond désir de mise en scène. Dans les salles de lecture de la BnF, je découvre des cartons entiers de notes de répétitions, de photos du spectacle, soigneusement collées sur de petites plaques en bois et enveloppées dans du papier de soie. Je lis et relis la pièce d’Hélène Cixous, et découvre les ouvrages de William Shawcross, de François Bizot, d’André Malraux, de Dane Cuypers, les films de Rithy Pahn et de Roland Joffé. Je me compose une mémoire du Cambodge, et tisse les liens affectifs et poétiques qui m’unissent désormais au royaume khmer.

Georges Bigot et Delphine Cottu ⓒ Arno Lafontaine
Georges Bigot et Delphine Cottu ⓒ Arno Lafontaine

La réalité du terrain viendra par la suite tout ébranler, quand, me retrouvant face au temps redoutable de la répétition, aucune certitude n’avait plus lieu d’exister, aucune attente plus lieu d’être satisfaite.
Avec un tel projet, et dans un contexte politique toujours aussi tendu, le présent fait loi, et c’est sur une route fertile mais inexplorée, qu’aux côtés de Georges, mon précieux aîné, et de ces jeunes artistes si souvent enseignants, je me trouve aujourd’hui engagée.

Delphine Cottu, 2011